- Année : 1912.
- Etat : Bon.
Alfred Capus (1858-1922) journaliste, romancier et dramaturge français. Il est également connu sous les noms de plume de Canalis et Graindorge pour Le Figaro. Alfred Capus débute en tant que dessinateur industriel puis s'oriente vers le journalisme. Il se fait connaître par ses chroniques publiées dans Le Gaulois, L’Echo de Paris et L’Illustration. Sous le pseudonyme de Graindorge, il écrit pour Le Figaro dont il devient le rédacteur en chef en 1914. Parallèlement, il se lance dans l'écriture de romans : Les Honnêtes Gens (1878), Qui perd gagne (1890)... mais c'est dans le théâtre de boulevard qu'il connaît un véritable succès avec Brignol et sa fille, Les Maris de Léontine, 'La Veine' et La Châtelaine. Alfred Capus a été élu à l’Académie française le 12 février 1914. [...]
Manuscrit autographe signé. Bon état general
Ecriture claire et bien lisible. Dimensions : 18 x 21 cm environ.
3 feuilles, avec onglet.
Décès de Léon Dierx, Prince des Poètes ...
Réflexions sur la littérature et les élections ...
Intitulé " Courrier de Paris " publié le 17 juin 1912 dans Le Figaro.
Probablement un brouillon de l'article avant publication.
Texte complet de l'article ci dessous [ Source Bnf Gallica ]
Belle signature à la fin : " Alfred Capus "
" Par,suite de'la mort du noble Léon Dierx, lés poètes, se disposent à nommer, un nouveau prince.. Cette opération est certainement sans danger pour la poésie, mais elle excite cependant quelques .réflexions, et celle-ci, entre autres, que jamais autant qu'aujourd'hui l'élite n'éprouva le besoin d'une hiérarchie, même fictive. On pouvait croire, en effet, que ce titre do prince des; poètes que Léon Dierx portait d'une façon si délicate et si mélancolique allait disparaître avec lui. C'était mal connaître nos mœurs littéraires et les profondes modifications qu'elles ont subies depuis vingt ans sous les influences qui ont pareillement transformé tous les aspects de la vie. 1 D'abord, la dilatation prodigieuse de là plupart des professions et surtout des libérales. L'instruction servie en trop grande quantitéà la fois et absorbée avec une sorte de gloutonnerie y attire non seulement les bourgeois mais aussi -les fils de paysans que leurs économies ont' portes' jusqu'aux frontières de la bourgeoisie. D'où, à l'entrée de chaque profession, une bousculade dont il n'y avait jamais eu d'exemple. La carrière ides lettres. a 'été peut-être la. plus brusquement envahie les barrières qui l'isolàient sont tombées. Elle est, en effet, séduisante entre toutes cette carrière, ,;car e}le a l'air de n'exiger aucune préparation, ni aucun stage. On a répandu le bruit que le génie naturel y suffisait. Or," qui se croit dépourvu de génie naturel? A peine quelques rustres.
"îirlàis ce n'est pas tout que d'être romancier, auteur dramatique, journaliste, ou poète il faut encore que cela se sache. Il faut le succès, la notoriété, la fortune et il les faut le plus vite possible, car personne n'a le temps d'àt• tendre et il n'y a plus que les animaux. qui soie ri" t'.patients. Qn rie ctoit drjnç rien .négliger pour, provoquer et fixer le succès, et à défaut de succès, ses simulacres les honneurs, les faveurs, les prix, tout ce qui distingue de la cohue ̃et tout ce qui signale. C'est ainsi que Tàpreté de la concurrence a augmenté le prestige, par exemple, des académies et des décorations; et que l'obligation de parvenir a créé, en littérature, une .hiérarchie dont il est de plus en plus ,difficile de franchir les degrés. Quelle admirable contradiction La démocratie amenée à détruire la vieille et libre république des lettres en lui substituant peu a peu, aujourd'hui la discipline et demain la tyrannie
Le moins que les écrivains perdront à ce régime ce sera l'indépendance de caractère, et ce goût amer dans le talent sans' lequel le talent n'est qu'une aptitude. Ils seront tenus de suivre la filière ,des grades, de faire la manœuvre des protecteurs, comme dans une administration de flatter l'un, de corrompre l'autre, de mêler à leur carrière la politique et les salons, et de dîner en ville pour avoir un prix au dessert, préoccupation éminemment contraire au bon fonctionnement de l'appareil digestif cher à Metchnikoff. Ah! que nous devons préférer- à cette règle de vie la hautaine imperfection de certaines existences d'écrivains 1,
La nomination prochaine d'un prince des poètes mérite-t-elle de si tristes inflexions-? En somme, ce n'est qu'un jeu et ceux qui y prendront part ne se font' probablement pas d'illusions sur ses conséquences. Ou bien, s'ils s'en -font, c'est que nous sommes dans la zone supérieure du grand comique, ce qui est encore possible. En tout cas, je ne voudrais pas les désobliger. Ils vont nous distraire pendant quelques jours et nous signaler des poètes. De là à les lire, il n'y a qu'un pas.
Cieéron.plaidantpourlepoèteArchias, disait aux juges: « Les autres talents s'acquièrent par l'étude, les leçons, la pratique de l'art; au contraire,le poète doit tout. à la nature même, il s'élève par les forces de son génie, il est inspiré par un souffle divin. Notre grand Ennius a donc raison d,e dire des poètes qu'ils sont sacrés car c'est pour ainsi dire un don, un présent des dieux qui les recommande à nos hommages. C'est pourquoi, juges, il doit être sacré pour nous, les plus civilisés des hommes, ce nom de. poète que jamais n'a profané aucun peuple barbare'. Les pierres et les, déserts répondent à la voix du poète à ses chants souvent les bêtes sauvages s'apaisent et s'arrêtent :,et nous, formés par les études libérales, nous resterions insensibles à la voix des poètes » Cette conception de la poésie n'est plus tout à fait la nôtre et Cicéron ne prévoyait guère qu'un jour.ce serait, par le suffrage universel et non par le souffle divin que les poètes chercheraient à s'élever. ̃
L'élection d'ailleurs fait un élu: elle ne fait pas un choix. Elle prononce un nom, elle ne le consacre pas. En matière littéraire, par exemple, un seul-homme de goût est plus compétent et a. moins de chance de se tromper qu'une multi-; tude de lecteurs. Vous rappelez-vous la charmante anecdote de Louis XIV et de Boileau? « Quel est le plus grand écri-:vain dé mon siècle? Sire, c'est Mb-,
Hère. » Vraie ou fausse, cette anecdote a un sens merveilleux. Le grand Roi désirait connaître l'écrivain qui dans l'avenir honorerait le plus son règne. Il aurait pu réunir la Cour, les marquis et les gens de lettres et les consulter, à ce sujet. Il n'y songea point et s'adressa ai un homme qui passait pour avo;ir;dela franchise et du goût. Boileau donna son: avis le Roi l'adopta, la postérité, n'en eut pas d'autre.
Je suppose que M. Fallières se, trouve un jour dans le même embarras que Louis XIV. On sait que nptre Président est un lettré et que le progrès des arts le passionne. Que fera-t-il en cette occu-; rence? Il mandera le chef du protocole Quel est le plus grand ppè,le de ma présidence ? interrogera- t-ilàyëc bonté. Le haut fonctionnaire qui! metchacun à sa place restera un instant embarrassé, car le protocole n'a pas prévu cette question. Puis, il répliquera
Il n'y a qu'à' voir le journal, monsieur le Président. ̃• Comme Boileau nous manque! Au fait, c'est peut-être dé tous les écrivains du siècle de Louis XIV celui qui nous manque le plus. Nous avons beaucoup de Molières, à preuve que .dès qu'une comédie réussit, l'auteur devient immédiatement Molière. Ce n'est ni les Racines ni les Corneilles qui nous font défaut, puisqu'on est traité de Corneille et de Racine après une bonne répétition générale. Mais nul n'est appelé Boileau et ne voudrait l'être. Et pourtant, si cet homme morose reparaissait parmi nous, comme nous ririons! Alfred Capus. "